Le cancer du poumon fait partie, avec les cancers du sein, de la prostate et du côlon, des quatre types de cancer les plus fréquemment diagnostiqués en Suisse. Le tabagisme demeure la principale cause du cancer du poumon. Dans cet entretien, le Dr Karl Klingler, médecin accrédité à la Klinik Hirslanden de Zurich, décrit les réels ravages dus au tabagisme et comment l’arrêt du tabac peut rapidement être bénéfique pour la santé. Nous en avons profité pour l’interroger également sur la cigarette électronique et les symptômes de sevrage tabagique.

En moyenne, 4 300 nouveaux cas de cancer du poumon sont diagnostiqués chaque année en Suisse. Cinq ans après le diagnostic, seuls 18 % des patients sont toujours en vie. La faiblesse de ce taux de survie s’explique essentiellement par le diagnostic généralement tardif du cancer du poumon, et par l’agressivité inhérente à ce type de cancer qui produit rapidement des métastases.

Dr Klingler, dans quelle mesure le tabagisme augmente-t-il le risque de cancer?

Dr Karl Klingler: Chez une personne qui fume régulièrement sur une longue période, le risque de cancer du poumon est 25 fois plus élevé que chez un non-fumeur. Mais fumer ne provoque pas que le cancer du poumon: le tabagisme est en effet associé à 13 types de cancer différents, qui surviennent plus fréquemment chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. Le deuxième type de cancer le plus fréquent chez les fumeurs, après le cancer du poumon, est le cancer de la vessie. Mais le cancer du sein, du pancréas et la leucémie présentent également une incidence accrue.

CT-scan d'une tumeur maligne du poumon

Cliché de CT-scan d’une tumeur maligne du poumon dans le lobe pulmonaire supérieur

Le tabagisme n’augmente pas seulement le risque cancéreux, mais aussi celui d’autres maladies telles que l’infarctus du myocarde.

En outre, la moitié des fumeurs réguliers est affectée par un rétrécissement chronique des voies respiratoires (BPCO). De telles atteintes peuvent provoquer un emphysème pulmonaire (dilatation de certaines alvéoles pulmonaires limitant considérablement les capacités pulmonaires). En Suisse, 450 000 personnes sont atteintes de l’une ou l’autre de ces maladies. Or il serait possible d’éviter à 100 % ces maladies en cessant de fumer.

La composition du tabac a-t-elle subi des modifications au cours des dernières années? A-t-on assisté à des évolutions positives?

Dr Karl Klingler: Des modifications ont été apportées au tabac, mais il n’est pas moins nuisible à la santé que par le passé. Le tabac se compose au total de 4 000 substances chimiques. Il y a 25 ans, l’industrie du tabac a été chargée de développer des filtres plus fins afin de réduire le passage des substances nocives dans les poumons. Depuis que ce filtre plus fin est utilisé, on dénombre moins de cancers au niveau des voies aériennes centrales, mais davantage au niveau des voies périphériques. En d’autres termes, seule la localisation du cancer du poumon a changé, mais le nombre de cas de cancers du poumon n’a pas diminué.

La tendance est aux cigarettes électroniques: sont-elles semblables ou aussi cancérogènes que les cigarettes classiques?

Dr Karl Klingler: Il est difficile de répondre à cette question, dans la mesure où il n’existe pas un seul type de cigarette électronique. Chaque fabricant met au point son propre produit. Les cigarettes électroniques présentent parfois de grandes différences en matière de fonctionnalité et il n’est pas possible aujourd’hui d’affirmer qu’elles peuvent être consommées sans danger. Le consommateur ne dispose pas d’informations fiables sur la qualité du produit. Il convient de ne pas exclure non plus le risque pour la santé des tiers, dans la mesure où la consommation de cigarettes électroniques libère dans l’air ambiant des particules liquides, de la nicotine et des substances cancérogènes susceptibles de pénétrer dans les poumons.

Certains fumeurs, au lieu d’arrêter totalement de fumer, passent à la cigarette électronique. Qu’en pensez-vous?

Dr Karl Klingler: Les cigarettes électroniques permettent d’atténuer l’envie de fumer et de réduire les symptômes de sevrage tabagique. Néanmoins, l’utilité des cigarettes électroniques à des fins d’arrêt définitif du tabac n’a pas été démontrée. En raison du mode de consommation à moindres risques pour la santé qu’elles représentent, les cigarettes électroniques sont d’abord utilisées comme alternative aux cigarettes classiques, ou encore comme moyen d’aider le fumeur à arrêter de fumer.

À l’heure actuelle, on ne sait encore rien sur les dommages à long terme de ces cigarettes. Une étude de grande ampleur est en cours à l’Université de Berne, laquelle passe au crible deux cigarettes électroniques spécifiques. L’objectif de cette étude est de déterminer dans quelle mesure la consommation de cigarettes électroniques se répercute sur la santé. Elle évalue également les effets sur la santé du fumeur qui décide d’arrêter les cigarettes classiques pour n’utiliser que des cigarettes électroniques, plutôt que de renoncer totalement à la cigarette. Les résultats de cette étude seront vraisemblablement connus dans 3 ou 4 ans.

Les poumons et le corps peuvent-ils se rétablir entièrement après l’arrêt du tabac?

Dr Karl Klingler: Oui, c’est possible. Cependant, la capacité des poumons et du corps à se régénérer dépend de la durée et de l’intensité du tabagisme. Les prédispositions génétiques jouent également un rôle important. Certaines personnes pourront fumer 3 paquets par jour et rester en parfaite santé. D’autres qui ne fument  »que » 10 cigarettes par jour pourront tomber gravement malade. Même les poumons d’une personne qui a beaucoup fumé, et pendant longtemps, pourront éventuellement se rétablir entièrement – en raison de ses prédispositions génétiques.

Combien de temps après l’arrêt du tabac les premières améliorations se font-elles ressentir dans le corps?

Dr Karl Klingler: Dès la demi-heure qui suit l’arrêt du tabac, le corps commence à se régénérer: d’abord, la circulation sanguine s’améliore, le pouls et la tension artérielle se normalisent. Après 24 heures d’arrêt du tabac, le risque d’infarctus commence déjà à diminuer. Deux ans après l’arrêt du tabac, le risque d’infarctus est réduit de 50 % (en l’absence de tout autre facteur de risque, comme un taux de cholestérol élevé, de l’hypertension artérielle, un diabète et des prédispositions familiales).

Quelques mois après l’arrêt du tabac, la respiration devient plus facile et la personne est moins essoufflée. C’est précisément pour ces raisons qu’il vaut la peine d’arrêter de fumer, même pour les fumeurs de longue durée. On considère généralement qu’il faut attendre 22 ans au total avant que le risque de cancer du poumon des ex-fumeurs retrouve le niveau de risque d’un non-fumeur. C’est long, mais le risque de cancer des poumons diminue déjà de 90 % au cours des 10 premières années suivant l’arrêt du tabac.

Les bénéfices liés à l’arrêt du tabac semblent donc considérables. Mais qu’en est-il des symptômes de sevrage tabagique? Que peuvent faire les ex-fumeurs pour s’en prémunir?

Dr Karl Klingler: Les jours qui suivent l’arrêt du tabac sont particulièrement pénibles. Le tabagisme inhibe certaines fonctions immunitaires des poumons, qui deviennent hyperactives dès l’arrêt du tabac. Il arrive en effet que certaines personnes toussent davantage après l’arrêt du tabac et expectorent plus de sécrétions. On pourra alors avoir tendance à se sentir plus mal qu’avant l’arrêt du tabac, dans la mesure où le corps tente de compenser la régénération.

En principe, il existe deux symptômes d’inflammation de sevrage: les symptômes physiques et les symptômes psychologiques. C’est précisément l’association de ces deux types de symptômes qui rend l’arrêt du tabac si difficile. Sur le plan physique, on observe une nervosité accrue, des douleurs dans la poitrine, un sommeil de mauvaise qualité, des sueurs, un état d’agitation, une augmentation de l’appétit, etc. Ces symptômes de manque perdurent généralement 4 à 6 semaines au maximum.

S’agissant des aspects psychologiques, je donne souvent l’exemple suivant: lorsque, pendant 20 ans, on a systématiquement fumé une cigarette après le repas, il est évidemment extrêmement difficile d’y renoncer du jour au lendemain. Il s’agit d’un automatisme. Je compare volontiers ce phénomène à Roger Federer, lorsqu’il joue au tennis: il n’a pas besoin de se demander à chaque échange comment tenir sa raquette ou comment placer ses jambes. De même, le fumeur ne se pose pas de questions lorsqu’il a envie de fumer sa cigarette après le repas. C’est automatique. Il convient d’analyser avec le fumeur quand, où, et pourquoi la personne fume. Puis nous nous mettons à la recherche d’une action alternative qui peut être effectuée au lieu d’allumer une cigarette.

Que recommandez-vous: comment les fumeurs peuvent-ils parvenir à se débarrasser définitivement de la cigarette?

Dr Karl Klingler: Pour espérer venir à bout de la cigarette, il est essentiel que le fumeur puisse bénéficier d’un accompagnement psychologique de type comportemental dispensé par son médecin de famille ou une institution comme la Ligue pulmonaire suisse ou la Ligue suisse contre le cancer. Le sevrage tabagique peut, dans ce cas et sous certaines conditions, s’accompagner d’un traitement médicamenteux, comme des substituts nicotiniques qui pourront même être partiellement pris en charge par la caisse d’assurance maladie. Il est également important de commencer à pratiquer un sport d’endurance directement après l’arrêt du tabac, afin de mieux contrôler une éventuelle prise de poids induite par l’augmentation de l’appétit.

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