Chirurgien orthopédiste à la Clinique Bois-Cerf et au Centre orthopédique de Lausanne Medicol, le Dr Jacques Vallotton a découvert l’origine de cette pathologie qui perturbe la marche, ainsi que les moyens de la traiter.
HLF: derrière ces trois lettres – initiales de hallux limitus fonctionnel – se cache une nouvelle «entité clinique», comme l’explique le Dr Vallotton, chirurgien orthopédiste à la Clinique Bois-Cerf et au Centre orthopédique de Lausanne Medicol. Le hallux limitus se caractérise par une raideur fonctionnelle et non liée à l’arthrose d’une des articulations du gros orteil (le hallux), dont les mouvements vers le haut se trouvent limités. Cette affection pourrait paraître anecdotique, mais elle a d’importantes conséquences sur la marche. Lorsqu’on se déplace, «toutes nos articulations fonctionnent selon une séquence et un rythme précis, qui sont notamment réglés par le mouvement de nos pieds», explique le Dr Vallotton. Or, au moment où l’on soulève le talon, le gros orteil dont l’articulation est bloquée ne peut plus exercer son effet de treuil physiologique. Le pied bascule alors, ce qui «perturbe tout le synchronisme de la marche et induit un déséquilibre de la posture. Sans le savoir, la personne marche en fournissant des efforts supplémentaires, à la manière de quelqu’un qui donne l’impression d’avoir un pied, ou les deux, trop long.»
Le tendon bloqué
Par effet domino, les conséquences du HLF se répercutent sur le pied, mais aussi sur l’ensemble du membre inférieur. L’affection prédispose notamment aux déformations du pied, aux entorses de la cheville ou du genou, au syndrome rotulien, et génère des lombalgies de surcharge. Cela est d’autant plus préoccupant que le HLF est très fréquent: «Il concerne environ les deux tiers de la population, même s’il ne se manifeste pas de manière symptomatique localement », souligne le spécialiste. Il peut exister à tout âge, «y compris chez les très jeunes enfants au stade de l’apprentissage de la marche». Ce blocage du coulissement du HLF a lieu au niveau de la partie postérieure de l’arrière-pied. A sa jonction avec le muscle, le tendon «passe dans une véritable gorge osseuse couverte d’une lame fibreuse, nommée la poulie rétrotalienne », explique le chirurgien orthopédiste. Lorsque la texture de cette poulie est trop fibreuse, le tendon ne peut plus coulisser correctement et le HLF se manifeste. C’est ce que le Dr Vallotton et ses collègues physiothérapeutes ont été les premiers à découvrir, en 1996-1997. Le médecin a ensuite constaté qu’il n’était pas le seul à s’intéresser à ce dysfonctionnement. Quelques années plus tôt à Boston, le spécialiste du pied Howard Dananberg s’était lui aussi penché sur le HLF. Il avait observé que cette affection pouvait provoquer des lombalgies, sans toutefois trouver l’origine du blocage tendineux. Depuis, les équipes de Boston et de Lausanne collaborent pour étudier cette pathologie qui reste encore mal connue.
La manœuvre du cordon de l’aspirateur
Une fois son origine élucidée, il est devenu possible de traiter le HLF par une manipulation du pied qui rend au tendon bloqué sa liberté de coulisser. Le Dr Vallotton l’a nommée «la manœuvre du cordon de l’aspirateur». Il s’en explique: «Lorsque le fil de votre aspirateur est coincé sous un meuble, il ne sert à rien de tirer. Il faut le dégager pour qu’il puisse à nouveau coulisser.» Cette manœuvre constitue «la base du traitement du HLF et elle doit être répétée à plusieurs reprises, pour éviter la réapparition du blocage». La prise en charge fait appel à des physiothérapeutes et des ostéopathes, qui font faire à leurs patients des exercices de proprioception et de tonification des muscles du pied, ainsi que de correction de la posture du genou et du bassin. Les ergothérapeutes peuvent aussi proposer des étriers calcanéens, sortes de supports plantaires qui visent à corriger la bascule du pied. «Plus de 80% des patients répondent bien à ces traitements conservateurs», se félicite le Dr Vallotton.
Sectionner la poulie
Pour les autres, le spécialiste a recours à la chirurgie qui vise à sectionner la poulie rétrotalienne, afin de permettre au tendon de coulisser à nouveau normalement. L’intervention se fait maintenant par arthroscopie et ne nécessite que deux petites incisions, l’une servant à introduire une micro-caméra, l’autre à insérer les instruments. «L’opération dure une vingtaine de minutes. Elle est peu douloureuse et permet une reprise immédiate de la marche sans béquilles ni attelle.» À ce jour, le chirurgien de la Clinique Bois-Cerf a déjà pratiqué environ 600 interventions de ce type et ne déplore qu’une seule complication. En analysant la marche de ses patients sur un tapis avant et après les avoir traités, il a pu constater que l’intervention modifiait la répartition de la charge sur l’avant pied et restaurait l’équilibre à la marche. Le Dr Vallotton va désormais poursuivre ses recherches sur le HLF, notamment en collaboration avec le nouveau laboratoire de mesure et d’analyse du mouvement de l’EPFL, qui s’intéresse aux aspects biomécaniques de la marche.
Un forum pour partager les expériencesDe nombreux professionnels de la santé – chirurgiens orthopédistes, physiothérapeutes, ostéopathes, ergothérapeutes, etc. – contribuent à la prise en charge du hallux limitus fonctionnel. Pour les tenir informés, le Dr Vallotton et son équipe ont créé le «FHL Study Group», un groupe d’intérêt doté d’un site qui leur permet de participer à des forums, de trouver les articles concernant le HLF et d’échanger leurs expériences. |