Acteur majeur dans le domaine de la cardiologie, la Clinique Cecil vient d’inaugurer une salle d’opération hybride dans la nouvelle extension de l’établissement. Visite guidée avec le Dr PD Patrick Ruchat, chirurgien cardiovasculaire.

Reliée au bloc opératoire de la Clinique Cecil, avec un accès direct aux soins intensifs, la nouvelle salle hybride de l’établissement lausannois combine les équipements d’une salle d’opération traditionnelle et ceux d’une salle de cardiologie interventionnelle. Le Dr PD Patrick Ruchat, spécialiste en chirurgie cardiaque et vasculaire thoracique, revient sur les opportunités médicales offertes par cette nouvelle structure.

La Clinique Cecil vient d’inaugurer une salle hybride. De quoi s’agit-il exactement?

Dr PD Patrick Ruchat: C’est une salle dont l’équipement permet d’effectuer simultanément sur un patient des gestes chirurgicaux et des gestes mini-invasifs de cardiologie interventionnelle sous imagerie médicale. Cette possibilité de mettre en œuvre des techniques dites hybrides qualifie cette salle: plusieurs gestes peuvent y être pratiqués en même temps sur un patient, ce qui évite les risques liés au séquençage des interventions. Cette salle permet également d’effectuer des gestes chirurgicaux sous contrôle radioscopique, ce qui est particulièrement utile dans le cadre des interventions cardiovasculaires que mes confrères – le Dr Didier Morin et le Dr Grégory Khatchatourov – et moi pratiquons régulièrement.

Quelles sont les particularités de cette salle hybride par rapport à un bloc classique?

Dr PD Patrick Ruchat: La salle hybride est une salle d’opération complète disposant de tous les équipements indispensables à la chirurgie cardiovasculaire, notamment la pompe assurant l’éventuelle circulation sanguine extracorporelle, et répondant aux critères standard (accès au personnel limité, renouvellement de l’air, asepsie, etc.). Elle dispose en outre d’un équipement mobile d’imagerie 2D et 3D de pointe. Tout ceci prend de la place: la salle hybride mesure quelque 80 m2, contre 25 à 35 m2 pour une salle d’opération classique. La technicité de cette nouvelle installation et le professionnalisme des équipes de la Clinique Cecil vont nous permettre d’améliorer encore la qualité de la prise en charge des patients. Cette salle présente aussi un intérêt en matière de recherche et développement puisque les chirurgiens et cardiologues interventionnels auront l’opportunité de développer ici de nouvelles techniques thérapeutiques.

En quoi la radioscopie est-elle utile pour la chirurgie cardiovasculaire?

Dr PD Patrick Ruchat: Contrairement à d’autres parties du corps humain, le système cardiovasculaire est clos. On peut toutefois y entrer à distance, par exemple via des cathéters, depuis une incision dans le pli inguinal. Mais il n’est pas possible d’effectuer une intervention de chirurgie cardiovasculaire sous le contrôle d’une caméra que l’on introduirait dans le corps du malade. Pour guider ses gestes, le spécialiste doit ainsi s’appuyer sur une vision indirecte, via les appareils d’imagerie radiologique. D’où la nécessité d’équiper une salle destinée à faire de la chirurgie avec du matériel radiologique afin de pouvoir naviguer dans le système cardiovasculaire avec des cathéters. Ce guidage permet de réaliser des interventions de plus en plus complexes sans chirurgie ouverte.

Quels types d’interventions peuvent être pratiqués dans la salle hybride?

Dr PD Patrick Ruchat: Des actes lourds de cardiologie interventionnelle nécessitant des conditions de bloc opératoire et l’utilisation de matériel radiologique spécifique, comme la pose de prothèse aortique par voie percutanée (TAVI). On peut aussi y traiter les anévrismes de l’aorte thoracique par réparation endovasculaire (TEVAR). Il s’agit d’une alternative à la chirurgie ouverte consistant à placer une prothèse en tissu avec une ossature métallique à l’intérieur de l’anévrisme, en passant par l’artère fémorale. Des endoprothèses permettent de traiter de la même façon les anévrismes de l’aorte abdominale (EVAR) (lire l’encadré). Citons encore la chirurgie coronarienne: le pontage peut être fait de façon hybride, c’est-à-dire en procédant à la dilatation et à la pose de stent de façon simultanée à la chirurgie, et non pas séquentielle comme c’est le cas actuellement.

Quel est l’intérêt de ces techniques hybrides pour les patients?

Dr PD Patrick Ruchat : Tout cela résulte d’une tendance de la médecine à être de moins en moins invasive. Quand j’étais étudiant, on disait «petite ouverture, petit chirurgien»… On sait aujourd’hui que moins on agresse l’organisme, mieux le patient supporte les traitements. Grâce aux équipements de la salle hybride, le chirurgien peut visualiser précisément les zones opérées afin de vérifier en temps réel l’efficacité de ses gestes sans devoir nécessairement procéder à une chirurgie ouverte. C’est déjà possible grâce à l’arc en C du bloc opératoire mais, outre un équipement permettant de faire des images plus précises, la salle hybride dispose de systèmes de réduction de la dose de rayonnements X, limitant ainsi l’irradiation des patients et de l’équipe médicale au cours de l’intervention.

À travers ces techniques, les limites entre chirurgie cardiovasculaire et cardiologie interventionnelle semblent s’estomper…

Dr PD Patrick Ruchat: Elles devront sans doute être redéfinies. Et il y aura matière à débattre car les enjeux de société sous-jacents sont très importants. Mais quelles que soient les avancées techniques, il est essentiel de préserver l’éthique médicale et de s’assurer que le patient puisse toujours être informé sur les différentes solutions envisageables et sur leurs résultats à long terme.

Deux heures au bloc…

C’est un grand jour qui se lève ce jeudi matin pour l’équipe du bloc s’apprêtant à réaliser la toute première intervention dans la nouvelle salle hybride de la Clinique Cecil. Assisté pour l’occasion par le Dr Khatchatourov et le Dr Morin, le Dr Ruchat va procéder à une cure d’anévrisme de l’aorte abdominale selon une procédure hybride.

L’anévrisme de l’aorte abdominale est une dilatation localisée de cette artère. Au fil du temps, son volume augmente, entraînant une fragilité de sa paroi et, à terme, un risque élevé de rupture se traduisant par une hémorragie interne, mortelle dans la plupart des cas. L’indication opératoire dépend en grande partie de ce risque de rupture. Afin de remplacer le segment dilaté de l’aorte, l’intervention classique nécessite une chirurgie ouverte (laparotomie).

Développée au début des années 1990, la procédure hybride de cure d’anévrisme abdominal est une alternative moins invasive, consistant à mettre en place une endoprothèse à l’intérieur de l’aorte malade, par voie quasi percutanée endovasculaire. Cette procédure ne nécessite que deux petites incisions au niveau de l’aine afin de remonter l’endoprothèse depuis les artères fémorales jusqu’à l’aorte, au travers de cathéters.

Après avoir dégagé une voie d’abord vasculaire dans chacun des deux plis inguinaux du patient, le Dr Ruchat y introduit un cathéter souple qui servira de guide pour poser la prothèse. Cette dernière étant composée de plusieurs modules, le chirurgien la met en place en pièces détachées: d’abord le corps principal, puis les deux branches latérales. Des opérations particulièrement délicates nécessitant la réalisation de nombreux clichés radiographiques permettant au Dr Ruchat et à ses confrères de contrôler à tout moment la précision millimétrique des manœuvres endoscopiques effectuées.

Il aura ainsi fallu à peine deux heures entre l’incision et le dernier contrôle de l’étanchéité du dispositif introduit dans le corps du patient. Après un bref passage en salle de réveil, celui-ci pourra en principe rentrer chez lui au bout de 48 heures. Avec, pour seules traces visibles de cette prouesse chirurgicale, deux petites cicatrices au niveau de l’aine…

 

Auteur: Elodie Maître-Arnaud